Made in Cameroon Magazine- Le silence reste pesant dans les plantations de la Société Sucrière du Cameroun (Sosucam). Près d’un mois après les émeutes de Mbandjock et Nkoteng qui ont laissé des cicatrices profondes, le travail a repris, mais pas pour tout le monde.
Des centaines de coupeurs de canne, près de 600 selon la Confédération syndicale des travailleurs du Cameroun (CSTC), ont déserté les champs, traînant avec eux un sentiment d’injustice et de désillusion.
La revalorisation du salaire de base, un point de discorde majeur
« Nous demandions simplement une revalorisation de notre salaire de base », confie un travailleur rencontré dans un quartier de Mbandjock. « Nous sommes découragés et avons même un peu honte », ajoute un autre.
Ces voix, parmi tant d’autres, expriment un sentiment d’injustice face à ce qu’ils perçoivent comme un manque de reconnaissance pour leur labeur. Ces hommes, qui ont exprimé leur colère et subi des violences, se sentent humiliés. Ils ont l’impression d’avoir été dupés, d’avoir cru en vain à la possibilité d’un changement.
Au cœur de la discorde, la question du salaire de base. Actuellement fixé à 57 000 FCFA, il est calculé sur la base de 285 FCFA l’heure, huit heures par jour et 25 jours par mois. « Avec les tâches, un ouvrier coupeur peut gagner plus de 200 000 FCFA par mois », explique un « manœuvre agricole coupeur ». Mais la réalité est bien différente, selon les travailleurs.
Ils réclament un salaire de base de 105 000 FCFA, qui correspond à 525 FCFA par heure de travail, 8 heures/jour et pendant 25 jours. Soit une augmentation de 87%. Les coupeurs de canne demandaient aussi une revalorisation du prix de la « tâche ».
Pour augmenter leurs revenus, ils doivent abattre une quantité de travail considérable, souvent bien au-delà des trois lignes de canne (300 mètres) prévues par le contrat. Certains vont jusqu’à couper 900 mètres par jour, une performance qui demande des capacités physiques exceptionnelles.
De plus, les conditions de travail se sont durcies. « Certaines parcelles n’ont pas été récoltées depuis au moins deux ans », explique un chef d’équipe. « Ce qui a rendu la canne longue et dure à couper. Cela a davantage compliqué le travail ». Les coupeurs demandaient donc que la « tâche » soit réduite à 200 mètres pour les parcelles difficiles.
Le retard de paiement des avances, l’étincelle qui a mis le feu aux poudres
Mais l’élément déclencheur de la colère a été le retard de paiement des avances de salaires, le 26 janvier. Déjà frustrés par les frais bancaires prélevés lors du versement de leur paie sans explications claires, les travailleurs n’ont pas supporté le retard causé par les opérateurs Orange Cameroun et MTN Cameroon.
« Ils (les coupeurs) avaient fait venir leurs proches pour la fête du coq. Et ces gens devaient rentrer, mais le salaire tardait. C’est ce qui les a énervés. Ajouté à cela des frustrations qu’ils traînaient depuis. Cela s’est transformé en émeutes », a expliqué une autochtone de Mbandjock.
La direction reconnaît un retard de 24 heures, mais souligne que les paiements ont été effectués. Trop tard, la colère était incontrôlable. « Malgré la résolution concrète du problème, les tensions naissantes d’une catégorie de travailleurs ont perduré. Du 26 au 29 janvier 2025, les sites de la Sosucam ont été bloqués par des groupes de manifestants incluant des individus étrangers à l’entreprise, paralysant progressivement l’ensemble de l’activité », a expliqué le DGA.
Revendication jugée excessive par la direction de la Sosucam
En somme, les coupeurs demandaient une augmentation de 87 % de leur salaire de base. Une revendication jugée excessive par la direction de la Sosucam, qui a rapidement opposé une fin de non-recevoir.
« La direction générale a indiqué rapidement l’impossibilité de répondre à cette demande, tout en rappelant le salaire de base de 56 000 FCFA et toutes les primes fixes liées à la performance, qui permettent d’assurer une rémunération moyenne de 105 000 FCFA pour un manœuvre 2A (catégorie d’entrée) qui assure 8 heures par jour sur 25 jours de travail », a déclaré Jean-François Ntsama-Etoundi, le directeur général adjoint.
La direction souligne également que les manœuvres coupeurs sont déjà rémunérés au-dessus du SMIG agricole, fixé à 45 000 FCFA au Cameroun. Une position soutenue par les syndicats, qui estiment que les pertes subies par l’entreprise lors de la campagne 2024 ne permettent pas une telle revalorisation salariale.
Le bilan lourd : plus de 5 milliards FCFA de pertes à Sosucam
Le bilan de cette explosion de colère est lourd : Gaston Djora, un ouvrier coupeur de canne, a perdu la vie. Des équipements de la Sosucam ont été endommagés, et près de 1 000 hectares de cultures de canne ont été brûlés. La direction chiffre les pertes à cinq milliards FCFA.
Aujourd’hui, le calme est revenu, mais la méfiance persiste. Les coupeurs de canne, qui ont repris le travail, le font avec un sentiment d’amertume. Ils ont le sentiment d’avoir été entendus, mais pas écoutés. La question de la revalorisation de leur salaire de base reste en suspens, telle une épée de Damoclès au-dessus de la Sosucam.